ORNITHO-ENDOCRINO

Quels effets des contaminants sur les oiseaux de l’Arctique?

Le programme Ornitho-Endocrino, mené par l’équipe ECOPHY, étudie les effets des contaminants sur la physiologie, le comportement, la reproduction et la survie des oiseaux marins de l’Arctique.
Il est soutenu par l’institut Polaire Français (IPEV)

Basé au Svalbard (arctique Norvégien) sur la base internationale de Ny Alesund  ce programme a été initié en 2000 et repose sur les compétences uniques du service d’analyses biologiques du CEBC , en particulier pour comprendre comment les contaminants (mercure, polluants organiques) affectent fonctionnement normal des mécanismes hormonaux (perturbation endocrine) ou agissent sur les processus de vieillissement cellulaire (télomères).

Ce programme est basé sur une forte collaboration avec la Norvège (Norwegian Polar Institute, Norwegian Institute for Nature Research, Akvaplan-niva, Norwegian Institute for Air Research et University of Trondheim) et implique plusieurs laboratoires de recherche en France (CEBC, LIENSs, Université La Rochelle, EPOC, Université de Bordeaux, Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris).

Responsable du Programme Ornitho-Endocrino : Olivier Chastel

Les modèles d’étude sont la mouette tridactyle et le goéland bourgmestre, deux espèces fortement contaminées qui font l’objet d’un suivi démographique (baguage) à long terme, afin d’estimer les conséquences populationnelles de l’exposition aux contaminants. Ces deux espèces font également l’objet d’un suivi télémétrique qui permet de suivre au long cours les zones utilisées pendant l’hiver et de comprendre ainsi quand et comment se contaminent les oiseaux.

Ces dernières années, l’accent est mis sur l’étude de certains contaminants émergents : les substances poly et perfluorés (PFASs), pour lesquelles on dispose de très peu d’information à propos des effets sur la faune sauvage. Alors que l’attention s’est surtout portée sur les effets des polluants organiques persistants (POPs) historiques (PCB, pesticides organochlorés, interdits depuis les années 70-80), les POPs dits émergents ont attiré l’attention à la fin des années 90. De nombreux POPs émergents ne sont pas réglementés et comprennent un large éventail de produits de la vie quotidienne, mais les données écotoxicologiques sur ces composés font défaut.

Parmi eux, les substances poly et perfluorés (PFASs) sont encore beaucoup utilisées comme agents tensioactifs dans une multitude de produits manufacturés et de consommation (produits de soins personnels, ustensiles de cuisine antiadhésifs, mousses anti-incendie, vêtements imperméables et tapis, papiers et textiles antitaches). Seulement quelques PFASs, tels que l’acide perfluorooctanesulfonique (PFOS) ont été inscrits à la Convention de Stockholm en 2009. La présence de PFAS a été décrite dans les régions polaires, notamment en l’Arctique, et les concentrations de certains PFAS ont tendance à augmenter avec le temps chez plusieurs espèces d’oiseaux et de mammifères de l’Arctique. Dans les régions arctiques (Svalbard et Arctique Canadien), les acides perfluoroalkylcarboxyliques (PFCA) à longue chaîne sont bien répandus et on estime que la toxicité des PFCA augmente avec la longueur des chaînes carbonées.

Les objectifs du programme sont:
1) Étudier en profondeur l’influence des PFAS sur les principaux mécanismes hormonaux qui sous-tendent les décisions de reproduction et l’effort parental, 2) Explorer, par l’étude de la dynamique des télomères, l’impact de la contamination par les PFAS sur le taux de vieillissement des individus,
3) Évaluer les conséquences de l’exposition aux PFAS sur le succès reproducteur et la survie reproductive.

Résultats obtenus

1) Effets des contaminants

Nous étudions les conséquences physiologiques et comportementales de l’exposition à ces PFAS pendant tout le cycle de reproduction (de la pré ponte à l’élevage des poussins) chez les oiseaux marins arctiques. Plus précisément, nous examinons les relations entre plusieurs PFAS, les POPs historiques, le mercure et la fertilité (morphologie et motilité des spermatozoïdes), les signaux sexuels (coloration des téguments et olfactive : signature chimique), les comportements de soins parentaux (température d’incubation et rotation des œufs), le vieillissement (longueur du télomère) et la dépense énergétique (taux métabolique de base, BMR)
De plus, certains mécanismes sous-jacents potentiels ont également été étudiés afin de mieux comprendre la toxicité des PFAS. La principale contribution du programme a été de révéler que les PFAS et les pesticides organochlorés pouvaient avoir un impact inverse sur le vieillissement, le métabolisme de base et certains soins parentaux. Plus précisément, l’oxychlordane, un métabolite de pesticides organochlorés interdits, a été associé à une diminution de la longueur des télomères, à une diminution du taux métabolique et à une diminution de la capacité d’incubation des œufs. Inversement, des télomères allongés, une augmentation du BMR et une augmentation de la rotation des œufs ont été observés chez les oiseaux présentant les concentrations les plus élevées de PFAS. De plus, nos recherches montrent que l’augmentation du stress oxydatif constitue un mécanisme important pour expliquer la toxicité des PFAS à longue chaîne chez les oiseaux arctiques. Ce programme fourni des informations importantes sur les conséquences physiologiques et démographique de l’exposition au PFAS et souligne l’importance de prendre en compte plusieurs groupes de contaminants dans l’étude des conséquences de l’exposition aux contaminants environnementaux pour la faune.

2) Observatoire à long terme
Dans le cadre du programme ORNITHO-ENDOCRINO, le CEBC, avec ses partenaires norvégiens mène un suivi à long terme des contaminants organiques (mercure, PCB, pesticides organochlorés, substances,poly et perfluorés, PFAS) chez les mouettes tridactyles du Svalbard). De tels suivi intégrés au Programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique (Arctic Monitoring & Assessment Programme, AMAP) et sont essentiels pour mesurer l’efficacité de la réglementation de certains polluants Convention de Stockholm pour les polluants organiques, ;
Convention de Minamata pour le mercure
Au Svalbard, chez les mouettes tridactyles, on observe que les concentrations de PCB et de DDE (principal métabolite du DDT) ont diminué au cours de la période étudiée, tandis que les concentrations en HCB affichent une tendance à la hausse. Fait intéressant, cette étude montre une tendance parallèle à long terme pour les POP historiques atmosphériques (station Zeppelin à Ny Alesund) et les échantillons de sang de mouettes tridactyles.

Outre les polluants organiques, les concentrations sanguines de mercure total sont mesurées ainsi que de nombreux autres paramètres (isotopes stables, hormones de stress), parmi lesquels les proies régurgitées spontanément par les mouettes pendant la manipulation. L’analyse suggère une baisse des niveaux de mercure dans le sang au cours de la période 2000-2016, avec un changement probable en 2007, au moment où les proies arctiques ont commencé à diminuer et où les proies atlantiques ont commencé à dominer l’alimentation de la mouette tridactyle. Cela peut suggérer un changement de régime dans le Kongsfjord qui pourrait avoir affecté le type de proies consommées par les mouettes tridactyles et peut-être l’exposition au mercure.