Mercure, virus et oiseaux marins de Guyane Française
Le projet pluridisciplinaire SENTINEL vise à:
1) établir l’état des lieux sur les contaminants (mercure, polluants organiques persistants, composés poly- et perfluorés) présents chez les oiseaux de mer de Guyane Française,
2) interpréter les niveaux observés via l’écologie trophique
3) estimer les effets sur la physiologie, l’immunité et la reproduction. Ces données toxicologiques sont indispensables pour surveiller, via ces sentinelles, l’état de santé global du littoral Guyanais.
Dans la Réserve Naturelle du Grand-Connétable
Ce programme est réalisé dans la Réserve Naturelle de l’Île du Grand-Connétable, seule aire marine protégée fonctionnelle de la côte amazonienne et la deuxième plus grande réserve naturelle marine d’Outre-Mer. Six espèces d’oiseaux marins nichent dans cette réserve : Frégate superbe, Mouette atricille, Sterne royale, Sterne de Cayenne, Sterne fuligineuse et Noddi brun. La Réserve Naturelle couvre 7 852 hectares et est gérée par le Groupe d’Étude et de Protection des Oiseaux en Guyane (GEPOG).
Les analyses biologiques au centre du programme
SENTINEL repose sur les compétences du service d’analyses biologiques du CEBC , et implique de nombreux laboratoires de recherche (CEBC, Museum National d’Histoire Naturelle, Paris, LIENSs, Université La Rochelle, l’Institut Pasteur et l’Université d’Anvers).
Une forte contamination par le mercure
Le programme SENTINEL se focalise sur la contamination par le mercure de plusieurs espèces d’oiseaux marins nichant sur la Réserve Naturelle du Grand Connétable. La Guyane est en effet caractérisée par des sols âgés dont les concentrations en mercure sont en moyenne 5 fois plus élevées que celles des sols tempérés, et par une activité d’orpaillage utilisant cet élément pour l’extraction de l’or, activité qui a rejeté plusieurs centaines de tonnes de ce métal dans l’environnement depuis le début du 20ème siècle. Les isotopes stables (C et N) sont également mesurés afin de replacer la recherche des contaminants dans un contexte d’écologie trophique. Les adultes et poussins de six espèces d’oiseaux marins ont été échantillonnés.
Résultats
Les résultats mettent en évidence une forte contamination par le mercure pour la communauté des oiseaux marins du Grand Connétable, en particulier pour les frégates superbes. Cette contamination est plus marquée chez les adultes et chez espèces situées à un niveau trophique élevé. Chez les frégates et les mouettes atricilles, les niveaux de mercure sont préoccupants et sont susceptibles d’affecter la santé des individus. Le dosage des polluants organiques persistants historiques (POPs) a également été réalisé et montre en revanche une contamination faible, bien inférieure à celle constatée chez les oiseaux polaires (Arctique, TAAF).
Mortalité massive chez les poussins de frégates et virus herpes
Cette collaboration avec l’Institut Pasteur, le programme SENTINEL s’est intéressé aux mécanismes impliqués dans les mortalités massives observées chez les poussins de frégates. La maladie est caractérisée par l’apparition de signes cliniques visibles (croûtes cutanées) qui s’étendent rapidement sur tout le corps, par un affaiblissement progressif et, dans la très grande majorité des cas, par la mort du poussin. Cette maladie est associée à un virus herpès, spécifique aux frégates superbes.
Le mercure favorise-t-il les états pathologiques chez ces oiseaux ?
La prévalence de niveaux élevés de mercure et de flambées de maladies nous a incités à poursuivre nos recherches étudier le statut oxydatif des poussins, montrant que le stress oxydant est associé à l’apparition des signes cliniques. Etant donné que le mercure peut perturber la régulation de l’oxydation, on peut se demander si le mercure favorise les états pathologiques chez ces oiseaux marins. Nous avons donc vérifié si la maladie est associée i) à une pénurie alimentaire et ii) à une exposition au mercure.
Notre expérience de supplémentation alimentaire a montré que les poussins qui ont reçu de la nourriture sont protégés contre l’apparition de signes cliniques et montrent une capacité accrue de guérison de la maladie. En revanche, la supplémentation expérimentale en sélénium, un élément trace connu pour protéger des effets néfastes du mercure, n’a pas permis d’améliorer les signes cliniques, mais les oiseaux supplémentés ont montré des tendances intéressantes sur le plan physiologique.
Une interaction synergique ou additive potentielle entre la disponibilité alimentaire et l’exposition au mercure dans la détermination des épisodes récurrents de maladies rend ce projet unique, et le projet SENTINEL a ouvert la voie à diverses collaborations et à d’autres projets pour approfondir ce sujet.
Equipe ECOPHY : Le programme SENTINEL est soutenu par la DEAL Guyane et le CNRS
Chercheurs impliqués : Manrico Sebastiano et Olivier Chastel (CEBC), David Costantini (MNHM), Marcel Eens (Université d’Anvers)
