Le SNO-MEMO

Contexte

L’océan Austral joue un rôle fondamental dans la régulation du climat de notre planète. Cet océan héberge un écosystème susceptible d’être très vulnérable au réchauffement climatique, car de nombreuses espèces de phytoplancton et zooplancton sont très dépendantes de la zone de banquise antarctique. Le SNO-MEMO permet de couvrir le secteur indien de l’océan Austral. Avec nos partenaires étrangers, une couverture quasi synoptique de l’océan Austral est assurée.

Comment collecter les observations dans les océans polaires

Les moyens disponibles pour observer cet océan afin d’en détecter les changements océanographiques et écologiques l’affectant restent limités. Les données océanographiques standards pour l’étude de la circulation océanique et la quantité de chaleur stockée dans l’océan Austral, sont les profils verticaux de température et de salinité. Les efforts de modélisations sont contraints par un manque de données in-situ. En effet les profileurs Argo sont advectés (transportés) d’Ouest en Est par le puissant courant circum-antarctique et sont inefficaces pour échantillonner la zone de banquise, car ils ne peuvent alors remonter à la surface puisqu’ ils risquent d’être pris et broyés par les glaces. Peu de navires océanographiques sont présents en Antarctique et tout particulièrement en période hivernale. Par ailleurs, ces moyens sont très couteux à mettre en œuvre. Pour pallier ce déficit de données, l’idée a été de tirer parti des travaux conduits sur l’écologie des phoques antarctiques pour collecter des données océanographiques et écologiques et de compléter et renforcer le système d’observation de cet océan.

Des Phoques océanographes

Dans ce contexte, la collecte de profils hydrographiques à partir de capteurs CTD, mais aussi de fluorescence fixés sur des mammifères marins s’avère très avantageuse. Un choix judicieux de l’espèce, du sexe et de l’âge des individus permet en effet d’obtenir des données dans des régions sous-échantillonnées telles que les zones de banquise ou de plateaux continentaux. Parmi les mammifères marins, les éléphants de mer sont particulièrement intéressants pour assurer cette mission d’observation car ils sont capables de plonger continuellement à de grandes profondeurs (590 ± 200 m, et jusqu’à 2000 m) sur de longues durées (durant 25 ± 15 min en moyenne et jusqu’ à 80 min). Ainsi les femelles s’alimentent préférentiellement en milieu océanique entre le front subantarctique et la zone de banquise, tandis que les mâles s’alimentent préférentiellement sur le plateau de Kerguelen ou le plateau péri-antarctique. Les phoques de Weddell équipés permettent de cibler plus particulièrement la zone de banquise antarctique qui est aussi visitée par certains mâles éléphant de mer. Ces animaux sont fidèles à leur site de naissance ou ils reviennent pour se reproduire et renouveler leur pelage (muer). Il est alors possible de les capturer et de récupérer les balises et les données haute résolution qu’elles contiennent.

Déterminer l’influence des conditions océanographiques locales

Parallèlement, des données écologiques sont aussi récoltées : trajets en mer, comportement de plongées (par exemple les tentatives de captures de proies ci-contre), mais aussi l’évaluation de la condition corporelle, de l’effort et du succès de pêche de ces animaux en fonction du contexte océanographique local. Une valeur ajoutée importante du SNO-MEMO est de répondre non seulement à des questions relevant de l’océanographie physique, biogéochimique et écologique, mais aussi de permettre d’aborder des questions scientifiques à l’interface de ces champs disciplinaires, comme par exemple de déterminer l’influence des conditions océanographiques locales sur la structuration des champs de ressources biologiques.

Une source essentielle de données pour l’océan Austral

Bien que moins précis (précision minimale garantie : 0.02°C et 0.05 PSU) que ceux obtenus par les profileurs autonomes ARGO ou à partir des navires océanographiques, les profils de température et de salinité livrés par les éléphants de mer et les phoques de Weddell constituent aujourd’hui la principale source de données océanographiques disponibles pour la partie méridionale de l’océan Austral. Ainsi 80 % des profils océanographiques disponibles au sud de 60°S ainsi que 98 % des données associées à la zone de banquise ont été échantillonnés par des phoques austraux. Par ailleurs des données sur les concentrations en chlorophylle dérivées de mesures de fluorescence sont aussi obtenues.

Femelle éléphant de mer équipée d’une balise CTD-Fluorescence et ayant effectué un trajet entre Kerguelen et la zone antarctique (en bas à gauche). Concentration en chlorophylle_a (g.m-1) estimée à partir des mesures de fluorescence (en haut à Gauche) et mesure de la densité dans les 160 premiers mètres de la colonne d’eau calculée à partir des mesures T/S obtenues simultanément. On peut noter la disparition brutale du phytoplancton dans la colonne d’eau qui correspond à la formation de la banquise révélée par les changements de densité.

Vers une approche intégrée et interdisciplinaire océanographie et biologie marine

Au fil des années nous avons complétés les mesures d’océanographies physiques par une nouvelle série de mesures biologiques telles que, par exemple, la concentration en phytoplancton dans la couche éclairée de l’océan. Cependant, jusqu’à encore très récemment, nous manquions cruellement d’informations sur les niveaux trophiques intermédiaires, à savoir l’ensemble du zooplancton et les petit poissons et calamars reliant le phytoplancton aux éléphants de mer. Les accéléromètres nous renseignent sur le nombre de mouvements de têtes associés à des tentatives de captures de proies au cours de la plongée et, par conséquent, sur l’abondance et la distribution des proies dans la colonne d’eau [1]. Ces tentatives sont indiquées par les points noirs dans la figure ci-dessous (partie gauche). Ces points sont superposés à la température mesurée par les éléphants de mer. Une avancée considérable a été permise grâce à la conception et réalisation d’un sonar miniature réalisé par Mark Johnson et Pauline Goulet[2] en lien avec le programme éléphant de mer. Ce micro-sonar permet de détecter le zooplancton, poissons et calamars dont la taille est supérieure à 1 mm en d’en estimer l’abondance. Ces organismes peuvent être différenciés par leur taille acoustique et leur comportement. Dans le graphe (au milieu) nous pouvons voir des organismes dont certains remontent près de la surface la nuit alors que d’autres restent à la même profondeur quelle que soit la période de la journée (Thèse M. Tournier CEBC). La bioluminescence [3] est un autre paramètre qui nous renseigne sur ces niveaux trophiques intermédiaires (à droite). Aujourd’hui la plus grande valeur ajoutée du SNO-MEMO est de permettre d’évaluer l’influence de ces conditions physiques (température, salinité, lumière) sur la distribution, l’abondance et le comportement de ces niveaux intermédiaires peu étudiés car difficile à observer alors qu’ils représentent la plus grande migration quotidienne de biomasse sur terre. Nous étions loin d’imaginer, le jour où nous avons équipé le premier éléphant de mer d’une balise océanographique, que 15 ans plus tard ces animaux nous apporteraient autant d’informations sur la biologie et les réseaux trophiques de l’Océan Austral.
[1] Guinet et al. (2014) MEPS
[2] Goulet et al. (2019) Deep Sea Research
[3] Goulet et al. (2020) J Exp Biol

Les balises